Un an après l’allongement des délais d’IVG : loi progressiste, médecine en retard !

Alors que la loi du 02 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement fête son premier anniversaire, l’accès à l’IVG entre 14 et 16 semaines d’aménorrhée (SA) reste difficile et très inégalitaire sur le territoire français.

Délais d’IVG à géométrie variable et difficultés d’accès aux soins

Un grand nombre de centres hospitaliers et de cliniques ne proposent tout simplement aucune prise en charge pour les demandes d’IVG après 14 SA et ne prévoient pas de le faire, ignorant complètement la nouvelle loi. Les disparités entre les différents territoires sont importantes : chaque centre fixe ses propres limites de prise en charge au gré des clauses de conscience des professionnel·les et de leur bon vouloir. Certains centres ne réalisent les IVG que jusqu’à 12 SA n’ayant pas fait évoluer leurs pratiques depuis la loi de 2001, d’autres s’arrêtent à 14 ou à 15 SA, rendant la lisibilité et l’accès aux soins complexes pour les patient·es. En conséquence, l’augmentation d’activité se reporte sur les établissements voisins (en grande partie les hôpitaux publics), surchargeant leurs équipes et retardant les délais de réalisation de toutes les IVG, quel qu’en soit le terme. 

Méthode médicamenteuse imposée : libre choix bafoué

D’autres établissements vont même jusqu’à imposer la méthode médicamenteuse, bien que la méthode recommandée en première intention à ces termes soit l’aspiration (méthode dite « chirurgicale » ou « instrumentale ») sous anesthésie locale ou générale. Dans ces établissements, les patient·es qui recourent à l’IVG après 14 SA sont actuellement pris·es en charge en salle de naissance par des équipes de maternité déjà débordées, et à proximité des accouchements en cours. Après l’ingestion du misoprostol, une molécule faisant contracter l’utérus, l’expulsion dure en moyenne une dizaine d’heures (parfois l’hospitalisation dure plus de 24h) et une aspiration peut tout de même se révéler nécessaire pour compléter l’évacuation du contenu de l’utérus. De plus, dans ces conditions, les patient·es peuvent être amené·es à visualiser le produit de la grossesse, ce qui peut être traumatisant si ce n’est pas souhaité. Par ailleurs, la gestion de la douleur est souvent complexe voire insuffisante. En conséquence, il n’est pas rare que cette méthode soit très mal vécue par les personnes concernées. 

Dans d’autres pays, les IVG médicamenteuses à des termes avancés sont prises en charge par des équipes dédiées et dans des locaux spécifiques (à distance des salles de naissances). Dans ces conditions, à l’issue d’une information complète et loyale, la méthode médicamenteuse peut être envisagée en décision partagée avec le·a patient·e.

Concernant la méthode instrumentale après 14 SA, les premières données françaises sur la sécurité de la procédure sont rassurantes, comme attendu selon l’expérience des pays voisins. Des protocoles médicaux ont été rédigés, et les complications sont rares. L’aspiration se pratique sous anesthésie générale et dure en moyenne une vingtaine de minutes, ce qui la rend beaucoup plus acceptable pour les patient·es. 

Permettre le choix de la méthode est essentiel. Dans les modalités actuelles de prise en charge en France, imposer la méthode médicamenteuse comme seule alternative après 14 SA est une violence gynécologique évidente

Un manque de volonté politique au sein des hôpitaux 

Dans certains établissements, la réalisation par méthode instrumentale de ces IVG après 14 SA a été déléguée principalement à des médecins en formation (internes de gynécologie-obstétrique) sans aucun accompagnement ou supervision. Cela témoigne non seulement du désintéressement total des praticien·nes de ces établissements pour la pratique des IVG, mais aussi de leur mauvaise foi lorsqu’iels prétendent, à d’autres égards, que la technique est trop complexe ou plus risquée. Avec une formation adéquate et du matériel approprié, le geste peut être pratiqué de façon sécuritaire par les professionnel·les de santé qui pratiquent déjà les aspirations avant 14 SA. Cette méthode pourrait également être étendue dans d’autres contextes que l’IVG (interruptions médicales de grossesses ou grossesses arrêtées) et bénéficier à d’autres patient·es. Malheureusement le manque de volonté politique au sein des hôpitaux ne laisse souvent que peu de place pour l’activité d’IVG au sein des services de gynécologie. Cela se traduit notamment par trop peu de créneaux disponibles dans les blocs opératoires et un manque de moyens (humains et financiers) pour former les professionnel·les de santé.

Extension de la pratique de l’IVG instrumentale aux sages-femmes

La loi prévoit l’ouverture de la pratique des IVG instrumentales aux sages-femmes mais les décrets d’application ne sont toujours pas publiés. Dans l’attente, seuls certains établissements démarrent la formation des sages-femmes dans le cadre d’une expérimentation prévue par la loi de financement de la sécurité sociale de 2021. Pour y accéder les établissements ont dû fournir des dossiers de candidature chronophages, et certains n’ont pas été sélectionnés. Pourquoi limiter et temporiser la mise en application de la loi alors même que l’on manque de professionnel·les motivé·es et compétent·es pour pratiquer les IVG instrumentales ?

Le prix est cher payé par les femmes et toutes les personnes ayant recours à l’IVG : lieux de prise en charge difficiles à trouver, délais de rendez-vous augmentés, distances à parcourir de plus en plus longues pour accéder aux soins, rendant parfois impossible les avortements.

Nous réclamons : 

  • un accès effectif pour tout·es à l’IVG jusqu’à 16 SA comme prévu par la loi,
  • la formation des professionnel·les à la technique instrumentale entre 14 et 16 SA,
  • l’ouverture élargie de la pratique des IVG instrumentales par les sages-femmes,
  • le libre choix de la méthode instrumentale ou médicamenteuse à chaque personne selon les recommandations de bonnes pratiques, assorti d’une information loyale et claire sur les modalités de chaque méthode, et dans des espaces dédiés
  • la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG,
  • un meilleur maillage territorial des centres d’IVG en France, via l’ouverture ou la réouverture de centres,
  • la constitutionnalisation du droit à l’IVG pour tout·es les personnes qui pourraient en avoir besoin, c’est-à-dire les femmes mais aussi les personnes non-binaires et les hommes trans
  • la poursuite de l’allongement des délais d’IVG, voire leur suppression.

La lutte pour l’accès à l’avortement en France continue ! 

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