Test salivaire pour le dépistage de l’endométriose : lobbying et conflits d’intérêts ?

La découverte d’une nouvelle modalité de dépistage de l’endométriose (ENDOTEST®) a récemment été clamée dans les médias et relayée par des professionnel·les de santé, dont le Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français (CNGOF) qui a diffusé l’information à l’ensemble de ses contacts professionnels et presse [1].
 
Manque de rigueur scientifique et conflits d’intérêts
 
L’innovation proposée s’appuie sur un marketing travaillé et sur ce que la firme appelle sobrement   « le plus large essai clinique jamais réalisé dans ce domaine » [2].
Cette étude, qui a intéressé seulement 200 personnes, ne fait qu’identifier des marqueurs ARN présents dans la salive chez un groupe de femmes ayant des douleurs pelviennes chroniques dont les 3/4 ont une endométriose prouvée, sans véritable validité externe (pas de vérification du test sur un groupe de personnes dont on ignore a priori le statut vis-à-vis de la maladie), ce qui peut entraîner de nombreux facteurs de confusion [3]. Pour en faire un test diagnostique fiable, il faudrait des études complémentaires afin d’évaluer sa validité et son efficacité dans la population générale.
On note que le CNGOF assume avoir collaboré avec la start-up et que le président de la commission endométriose du CNGOF, le Pr. François Golfier, fait partie des auteur·es de l’étude publiée sur la méthode [4].
 
Santé et marché juteux = attention danger !
 
Le marché de la santé gynécologique représente une importante manne financière (estimée à 50 milliards de dollars à l’horizon 2024) [5] et les start-ups s’en emparent, peu importe l’absence de raisonnement scientifique pourtant indispensable à la sécurité. La récupération capitaliste de ces enjeux peut inquiéter quand on voit les projets menés : se mélangent diagnostic de malformation fœtale, cosmétiques pour femmes enceintes ou encore sex-toys [6]. Ces start-ups servent-elles l’intérêt des patient·es et de la santé publique ou seulement celui de leurs actionnaires ?
Précédemment, d’autres innovations en santé ont pu apparaître comme de bonnes idées mais se sont soldées par des scandales sanitaires : dispositifs de contraception définitive au nickel Essure® (retirés du marché), prothèses articulaires au cobalt, DIU Ballerine®, et bien d’autres dispositifs médicaux dont l’innocuité n’était pas prouvée avant leur mise sur le marché.
La santé des femmes atteintes d’endométriose mérite la même rigueur scientifique que celle appliquée à l’ensemble de la santé. Il n’est souhaitable ni de sur-diagnostiquer, ni de sous-diagnostiquer une maladie chronique. La pertinence d’un dépistage de masse dans cette pathologie reste incertaine compte tenu de l’absence de traitement efficace ou curatif. D’autant que, dans le cas spécifique de l’endométriose, l’importance des lésions n’est pas toujours corrélée à l’intensité des symptômes. Dépister sur la base de l’ARN pourrait amener à détecter de nombreuses personnes asymptomatiques et engendrer une anxiété inutile voire des traitements délétères. De plus, l’aspect révolutionnaire d’un dépistage rapide n’est qu’une vitrine : il n’indiquera ni la localisation des lésions, ni leur étendue, et ainsi n’évitera pas non plus le passage obligatoire par l’imagerie médicale (le plus souvent l’IRM). 
Si les start-ups peuvent dynamiser la recherche, une approche et une rigueur scientifique demeurent indispensables pour assurer la sécurité des soins. Ce nouveau test « révolutionnaire » surfe sur la vague médiatique et la récupération politique autour de l’endométriose, en tentant de rechercher le soutien des personnes qui en souffrent et qui sont en demande légitime de reconnaissance de leur situation.
Seulement, commercialiser un dispositif qui n’a pas fait ses preuves, c’est encore une fois ne pas prendre au sérieux les patient·es. Les organisations professionnel·les telles que le CNGOF ne devraient pas soutenir ce genre d’initiative sans preuve scientifique tangible. Nous demandons davantage de transparence et d’études scientifiques avant que de telles communications soient faites.
 
Les personnes atteintes d’endométriose méritent mieux
 
Le diagnostic de l’endométriose représente aujourd’hui un enjeu certain. Nous pensons que la longue errance diagnostique dont souffrent les personnes atteintes d’endométriose est en partie due à l’imperfection des tests diagnostiques existants (échographies, IRM, cœlioscopie) mais surtout à un défaut d’écoute et à une manque de connaissances de la part des professionnel·les qui continuent de minimiser des symptômes parfois très invalidants. La majorité des communications sur le sujet relaie encore des notions obsolètes et inexactes à son sujet. Maintenant que l’endométriose commence à être (re)connue du grand public et du monde politique, nous attendons de voir des effets positifs sur connaissance et la reconnaissance de ces troubles, et surtout la mise en œuvre de moyens efficaces pour les soulager, en accord avec les personnes soignées.
 
 
[1] Communiqué de presse du CNGOF du 14/02/2022 : http://www.cngof.fr/patientes/presse/771-endometriose-detection
[2] Dossier de presse « Endotest – Diagnostic de l’Endométriose – Une innovation mondiale » de la start-up Ziwig : https://ziwig.com/wp-content/uploads/2022/02/Ziwig-DossierPresse.pdf
[3] Endométriose : un diagnostic par simple test salivaire ?, diffusé sur France Culture le 14/02/2022 : https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-sciences/le-journal-des-sciences-du-lundi-14-fevrier-2022
[4] Bendifallah, S.; Suisse, S.; Puchar, A.; Delbos, L.; Poilblanc, M.; Descamps, P.; Golfier, F.; Jornea, L.; Bouteiller, D.; Touboul, C.; Dabi, Y.; Daraï, E. Salivary MicroRNA Signature for Diagnosis of Endometriosis. J. Clin. Med. 2022, 11, 612. https://doi.org/10.3390/jcm11030612
[5] « Utérus, vagin, sein: quand les start-ups s’emparent de la santé des femmes », France 24 et AFP, 14/02/2022 : https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220214-ut%C3%A9rus-vagin-sein-quand-les-start-ups-s-emparent-de-la-sant%C3%A9-des-femmes
[6] « Station F lance un programme pour les technologies dédiées à la santé des femmes », L’Usine Digitale, le 06/09/2021 : https://www.usine-digitale.fr/article/station-f-lance-un-programme-d-accompagnement-dedie-a-la-femtech.N1137794
 
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